Il est tard dans l'après midi après cette éblouissante présentation de vins rares. J'aurais aimé faire une sieste à l'hôtel, mais le devoir m'appelle, car je vais devoir ouvrir un très grand nombre de vins pour le dîner de ce soir. Nous rentrons Tomo et moi à Levernois. J'ai à peine le temps de me retirer dix minutes, et le plus invraisemblable amoncèlement de vins du Domaine de la Romanée Conti va passer entre mes mains, pour l'ouverture des bouchons. Si la qualité des bouchons des années récentes est irréprochable, il n'en est pas de même des bouchons anciens avec lesquels j'ai bataillé au point d'avoir très mal aux doigts de la main droite qui est celle qui tire doucement les bouchons. Pour la Romanée Conti 1983, le bouchon est aussi serré que tous ceux que j'ai ouverts et il me faut lutter comme un fou pour arriver à le sortir. Je suis bien évidemment intéressé par les deux vins que j'ai apportés. La Romanée Conti 1922 sent affreusement mauvais. Je suis triste car elle me semble perdue. La Romanée Conti 1944 au contraire a un parfum qui me plait. Souvenez-vous de ce que vous venez de lire, car le monde des vins anciens est un monde à surprises.
Et la Romanée Conti 1945, où est-elle ? Car c'est pour elle que je me suis inscrit. Lorsque nous étions à la Romanée Conti, Aubert de Villaine avait posé des questions sur son origine et René, l'animateur de White Club l'avait rassuré. Mais je ne la vois pas. Romain, le négociant qui m'avait fait m'inscrire à ces repas me demande de rejoindre René, qui m'explique que la bouteille qui lui a été vendue n'étant pas conforme à la photo de la bouteille qu'il voulait acheter, il l'a laissée sur place pour se faire rembourser. Conscient que je m'étais inscrit pour la 1945, il me promet qu'il fera un autre repas où figurera une 1945. Tout m'incite à faire confiance, et je continue à ouvrir les vins. Alors que je n'ai pas fini, les membres du groupe qui logent à Mercurey arrivent. Ma sieste passe aux oubliettes.
J'ai à peine le temps de me changer et je redescends dans un caveau où tout le monde prend l'apéritif avec un Champagne Perrier-Jouët jéroboam 1961. Puisqu'on est dans l'excès, pourquoi pas un jéroboam ! La couleur est trouble. Le champagne n'est pas désagréable, mais il n'est pas du tout ce qu'il devrait être. Je n'y touche qu'à peine, car il ne me plait pas. Avec Peter Sisseck, nous disons en plaisantant que c'est un vin qui a dû être stocké en évidence dans une boîte de nuit où il a souffert de la chaleur.
Quand on voit les choses en grand, ça vaut aussi pour la nourriture. Voici le menu dont ma balance se souvient encore, deux jours plus tard : huitre Gillardeau et Panna cotta d'oursin au caviar osciètre / marinière de coquillages et croustillant mimosa / l'œuf parfait aux cèpes, jambon Belotta et crème de poule faisane / coquilles Saint-Jacques aux truffes, poireau et céleri / homard cuit en carapace, Paccheri de King crabe au citron confit et artichauts / risotto Acquarello à la moelle et truffes noires / boudin blanc de perdreau aux châtaignes, foie gras de canard des Landes en infusion de cèpes / lièvre à la royale, chartreuse de chou et champignons des bois / fromages frais et affinés / variation de poire comice et caramel confiseur / tarte au chocolat Manjari, crème brûlée vanille Bourbon et glace ivoire.
Ce repas n'a pas du tout été pensé pour les vins, mais les plats ont été délicieux et bien exécutés. Ce fut largement trop copieux, mais nécessaire pour soutenir le rythme des vins.
Le programme n'avait prévu que des vins rouges et c'eût été difficile avec le début du menu, aussi René a ouvert un Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2007. Il est magnifique et l'on sent le lait et la pâtisserie. Il est riche, généreux, au final gourmand. Ce vin a une longueur extrême. Il est l'élégance incarnée.
Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2008 a un nez très élégant. Il est plus pétrole. Il est plus minéral et a plus de botrytis que le 2007. Ce vin est profond. On sent le miel. Autant le 2007 est prêt à boire maintenant avec plaisir autant il faut garder encore les 2008.
Les bouteilles que j'avais ouvertes étant manipulées dans tous les sens, je demande à René de les ranger dans l'ordre qu'il a prévu. Il y a sur une table 27 vins du domaine de la Romanée Conti. Nous nageons dans l'irréel.
Et, comme pour en ajouter une couche, René nous sert un vin mystère. Il est bu à l'aveugle par une table de quinze amateurs. Pratiquement tous ceux qui se sont exprimé ont proposé Pétrus. Et pour Pétrus, la plupart ont proposé 1961. Mon ami Tomo a proposé Pétrus 1998 et j'ai proposé Pétrus 1990. Quand on a la réponse, quelle surprise !!! C'est Château Margaux 1900, à l'étiquette de Barton & Guestier, rebouché en 1999 sans que le nom Margaux ne figure sur le bouchon ce qui est curieux. Peter Siesseck me dit : ce vin est tellement jeune que si ce n'est pas Margaux 1900, il faudrait donner une médaille au vigneron qui a pu fabriquer un vin jeune aussi phénoménal.
Force est de dire que ce vin est hors du commun. C'est du 100/100 Parker, de façon évidente, mais c'est plus que cela. Equilibre, émotion, longueur, profondeur, tout y est. Et effectivement, je me suis trompé sur l'âge, mais ce n'est pas la première fois que des vins sublimes du passé bluffent tout le monde. Ce qui a conduit à Pétrus, c'est cette sensation de truffe, d'une rare précision. C'est une belle leçon et un vin splendide. Il a une perfection inimitable et une élégance absolue. Il pourrait bien être le gagnant de cette journée.
La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2007 a un nez très domaine de la Romanée Conti. La bouche est élégante mais aussi stricte et mesurée. C'est un vin élégant qui reste mesuré et courtois. C'est un grand vin.
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2002 a un nez puissant de folle jeunesse. En bouche il est joyeux, tout en charme, mais aussi puissant. Il a tout à fait le style du domaine. Ce vin est glorieux.
L'Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1993 a un nez discret. La bouche se marie magnifiquement avec les cèpes. Ce vin est élégant, sans avoir la personnalité de La Tâche. Avec le temps il gagne du corps.
La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1997 reste stricte mais très domaine de la Romanée Conti.
Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1990 a un nez d'une pureté remarquable. Il est d'une élégance extrême. Il marie accomplissement et cohérence. Ce vin est dans un état de grâce. Il a une longueur infinie.
La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983 a un nez subtil. Sur la Saint-Jacques à la truffe, le vin est glorieux. Il a une longueur infinie. J'aime cette Romanée Conti que j'ai bue de nombreuses fois. On voit que ce n'est pas une année de puissance mais le vin a une élégance à la Coco Chanel. La rose et le sel sont là.
La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1981 a un très joli nez. C'est beau en bouche même si l'on est très loin de la Romanée Conti 83.
La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1975 a un nez très domaine de la Romanée Conti. Il y a beaucoup de sel. En bouche le vin est beaucoup plus gourmand que ce que le nez suggère. Ce vin se comporte nettement au dessus de ce qu'on en attendrait.
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1973 a un nez très joli et une bouche gourmande. Quelle belle surprise pour un vin de cette année ! Les quatre derniers vins sont surprenants, car de petites années et brillants. La Romanée Conti 1983 a quelque chose de plus que les autres par la complexité de son final. Mais le plus incroyable et le gagnant de ces quatre est pour moi le 1975, contre toute attente et je suis ravi de voir qu'autour de la table, on pense comme moi.
Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956 a un nez très domaine de la Romanée Conti avec une puissance rare. Il a des points communs avec la Romanée Conti 1956 de ce matin, mais servi à table, il est plus opulent. Il a un peu d'amertume en fin de bouche, mais le vin est très joli.
Le nez de la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1954 n'est pas parfait. En bouche, il est un peu fatigué, un peu "amantillado". Il fait brûlé, mais il a quand même quelque chose à dire, ce qui rend la 1956 plus vivante encore.
La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1944 qui est mon apport a une couleur bien moche. Le nez est un peu vinaigre. En bouche le vin n'est pas stupide mais il est notoirement insuffisant. On sent un peu de chocolat. Il n'est pas mort en bouche, mais je suis furieux.
Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1945 a un nez un peu camphré. La bouche est belle même si un peu chimique. René est beaucoup plus tendre avec ce vin que je ne le suis. Cette série de quatre vins est faible, le 1956 étant le plus vivant, très beau.
Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1943 ajouté pour me faire plaisir puisque c'est mon année a une belle couleur. Le nez a du champignon, dont l'intensité ne va jamais baisser. Il faut attendre pour le goûter, mais il ne deviendra jamais ce que j'ai connu de ce vin, un des plus grands du Domaine de la Romanée Conti que j'aie bu. L'odeur de champignon empêche de l'aimer.
Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti magnum 1940 a une couleur très brune. Le nez est correct mais limite. Le vin n'est pas mal, mais montre un peu trop de fatigue. Le final est trop fatigué.
La Tâche Domaine de la Romanée Conti magnum 1940 a une couleur aussi très fatiguée. Le nez est meilleur. En bouche, c'est très buvable même si c'est un peu fatigué. Le final est très limité.
La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1937 a une couleur beaucoup plus belle, même si elle est un peu trouble. Il y a un peu de tabac dans le nez de ce vin. Le vin a une belle attaque et un final un peu imprécis à ce stade.
La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti Van der Meulen 1929 a une couleur foncée. Le nez est très joli. On sent un vin un peu fortifié, un peu torréfié. C'est un beau vin, mais ce n'est pas la légende.
La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti Van der Meulen 1923 a une couleur aussi foncée. Le nez est très velouté et c'est le premier vin dont je sens la fraîcheur mentholée. C'est le 1929 en nettement mieux. C'est un très grand vin et l'expression d'un vin préphylloxérique.
La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1922 qui est mon deuxième apport a une couleur claire. Il est magnifique. C'est le meilleur des vins de cette série à quatre Romanée Conti. Il a la fraîcheur et une tension extrême. Je suis tellement content que ce vin rattrape le 1944.
La Romanée Conti 1937 s'améliore et on peut constater que les 22 et 37 ont des couleurs claires et sont définitivement ce que la Romanée Conti doit être, alors que les 23 et 29 ont des couleurs plus foncées et donnent l'impression que les vins ont été fortifiés par Van der Meulen. Le 1937 s'est amélioré et ressemble beaucoup au 1922 qui est maintenant royal. Si on se souvient bien, le 1922 sentait la mort et le 1944 avait un beau parfum. Les voies du vin sont impénétrables.
La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1935 a un très joli nez de Romanée Conti. En bouche, c'est une très grande Romanée Conti. Le match est ouvert entre 1922, 1935 et 1937. C'est peut-être le 1935 qui est le plus riche, mais il est peut-être aussi légèrement fortifié. C'est donc le 1922 qui gagne devant 1937 et 1935 cependant que le 1923 devient de plus en plus charmant.
Peut-on imaginer que nous venons de boire six vins de Romanée Conti de vignes préphylloxériques : 1922, 1923, 1929, 1935, 1937, 1944 ! Le 1935 a une grande puissance, de l'alcool, mais c'est un beau vin, le 1923 devient plus élégant, poivré, c'est un grand vin même s'il a été un peu aidé. Le 1922 est l'élégance absolue, avec le raffinement et la pureté de la Romanée Conti. Le 1937 est la délicatesse, le petit frère du 1922 même s'il est un peu moins beau. La fraîcheur mentholée du 1935 est étonnante car inhabituelle.
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1962 a une couleur entre brun et rouge. Le nez est grandiose. Le vin est doux mais profond. C'est un très grand vin mais ce n'est pas la légende que j'attendais.
La dernière goutte du 1922 est de la rose pure. Je suis ému.
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1959 a la même couleur que le 1962. Le nez est imparfait. La bouche est beaucoup plus gourmande. Il est généreux mais il n'est pas parfait. Décidément, je n'ai pas de chance avec les 1959.
Ce qu'on peut constater, c'est que tous les vins jeunes et les plus vieux sont spectaculairement bons. Ce sont les vins des âges intermédiaires des années 40 et 50 qui ont posé des problèmes. Quand on constate que la Romanée Conti 1956 bue en cave est sans doute l'une des plus belles de ce jour, cela montre qu'il y a un vrai problème de conservation des vins des années des décennies 40 et 50. Mais le positif gagne tellement devant le négatif que je vis un moment unique.
René, en mal de générosité, demande si nous avons encore de l'énergie. Je dis oui. Et arrive le vin que j'appelle "le vin John Wayne". Dans tous les westerns de cet acteur américain, la victoire arrive toujours au dernier moment du film. Eh bien, la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1969, c'est un peu ça. Elle a une couleur claire, un nez authentique de Romanée Conti. Elle est parfaite, élégante, belle, même s'il y a un petit manque de tension. Au point où nous en sommes, elle cohabite avec le dessert au chocolat, mais à ce stade, nous sommes capables de nous consacrer au vin uniquement, l'un des plus beaux de ce soir.