Que veut dire le mot "minéralité" appliqué au vin ?
Bonne question (et bon article), mais débattue depuis si longtemps, en tout cas chez nous, je sens que, même si on a vu souvent rejaillir le feu de l’ancien volcan qu’on croyait éteint, ça va pas être pour cette fois ci.
L’inconvénient de ce genre de débat à n’en plus finir, sur le sens de minéralité, est qu’il laisse croire que le reste du vocabulaire est précis.
La question première, à poser avant de s’attaquer au cas, peut-être particulier, de minéralité serait celle-ci :
Que veulent dire les mots de la dégustation ?
Et même, on ne devrait pas éviter l’étape :
Que disent les mots ?
On trouverait des réflexions intéressantes (générales : Bergson, scientifiques : Faurion, Holley..) qui permettent de mieux situer la question.
Puisque je suis lancé, je vous en touche un mot…
Sur le langage en général, le constat à faire est que les mots ne représentent jamais toute la réalité des choses qu’ils désignent. Le mot « fraise », ne dit rien de sa variété, de sa couleur, de sa forme, de sa substance, de son poids, de sa maturité, de son goût…..
« Fraise » est une étiquette posée sur une généralité.
C’est plus vrai encore quand on parle d’émotion ou de ressenti. Dire qu’on est « triste », ne décrit pas toute la réalité du sentiment « triste » que nous vivons au moment où nous en parlons. Il y a mille et une manières d’être triste, mille résonnances, mille nuances possibles, et cent mille pages littéraires pour les décrire. Le mot « triste » est une expression finalement impersonnelle, une sorte de plus petit dénominateur commun d’un sentiment humain.
Le goût se situe justement à l’intersection des choses et des sentiments intérieurs. Les choses que l’on mange ou qu’on boit, le plaisir, les émotions ou le dégoût qu’elles nous procurent.
Avec le goût, il ne s’agit pas de voir ou d’écouter à distance, il s’agit d’ingérer, donc de faire rentrer une partie du monde extérieur à l’intérieur de nous-même. On est dans l’intime. Avec le goût il est question d’aimer ou pas, les scientifiques sont formels sur ce point. On est dans le sentiment, donc dans le plus difficile à verbaliser.
Les neurosciences nous montrent le goût comme une machinerie complexe à former des images.
Peut-être, d'ailleurs, la « dégustation concentrée » que nous pratiquons en tant qu’amateurs, est-elle plus une série d’images, un petit film de 2 ou 3 secondes.....
Bref, une multitude d’informations, olfactives, gustatives, tactiles, somesthésiques, activent ou n’activent pas les pixels de l’écran de la conscience. Cette machinerie est très variable d’un individu à l’autre. Autre point fondamental, puisque source de dispersion des images formées dans les groupes humains. Rajoutez à cela que tout fonctionne en relation avec le jugement de plaisir relié à la mémoire de nos expériences passées. L’image formée dans ma tête par la dégustation d’un vin n’a aucune chance de correspondre en tous points à celle qui est dans votre tête quand vous dégustez le même vin. On ne peut que conjecturer sur les ressemblances possibles ou probables de ces images, dont l’identité parfaite est impossible.
Vient le problème de la communication. Comment se mettre d’accord sur un mot pour caractériser une image quand personne n’a la même ? C’est ce que résume l’expression d’Annick Faurion : « mille et une saveurs mais seulement 4 mots pour le dire ».
Nous sommes capables, biologiquement, de « visualiser » des centaines de milliers de saveurs différentes. Pour chaque vin dégusté, il se forme une image unique dans le cerveau de chacun. Ce qui manque ce n’est pas notre capacité à différencier ou stocker les images. Ce qui manque ce sont des étiquettes à mettre sur ces images qui puissent être lues par les autres.
Nous tâtonnons en nous raccrochant, si ce n’est à une objectivité impossible, mais suggérée par nos autres sens (la variabilité génétique de la vue est infiniment plus faible que celle du goût), du moins à un « principe démocratique » : l’effet supposé de choses : sucre, sel, citron, vinaigre, fraise, rose… supposées identifiées (quel sucre, quel citron, quelle fraise ?) sur la majorité d’entre nous.
Finalement, il suffirait d’une définition acceptée par une majorité, pour que le cas de la minéralité ne soit pas très différent de celui de la saveur sucrée ou de l’arôme de rose fanée.
Thierry