Bonsoir à tous,
Voici quelques lignes sur ma rencontre avec Anselme Selosse, ce jour, 11h30, Avize.
Nous arrivons avec un copain à 11h23.
Sur le parking de l'hôtel les Avizés, une Audi A8 L, une Porsche 911, et une grosse BMW.
Et puis, à 11h30 tapante, un véhicule qui se distingue "quelque peu" de ceux cités fait son apparition, c'est une enjambeuse, avec Anselme Selosse à son bord, qui revient de ses vignes.
Il nous salut simplement, nous dit qu'il va falloir aller vite pour qu'il puisse retourner à la vigne. Les vendanges chez lui n'ont pas encore débuté.
Nous rentrons dans le chais.
"on tient peut être un 29, un 49 ou un 90" . Je comprends quelques secondes plus tard qu'il évoque le millésime 2015, qui pourrait être superbe. La récolte sera relativement faible. mais la matière est magnifique. Il est très angoissé, il va falloir prendre des risques.
On attaque un initial, dégorgé il y a un peu plus d'un an. Très joli nez, expressif, sur des notes de fruits jaunes murs, des notes légèrement oxydatives. En bouche, c'est long, très long, et c'est vineux.
On évoque alors son objectif de travailler sur le minéral. Il prend une feuille de papier, et la brûle devant nous. L'organique, ce qui vient de l'atmosphère, s'est volatilisé. Il reste la matière sèche, le minéral, ce qui provient des sols, du terroir, la substance de son vin.
Il récolte toujours assez tardivement. Je lui demande si la moindre acidité ne met pas en danger la garde de ses vins. il m'explique que ce n'est pas l'acidité qui tient un vin dans le temps, mais d'autres éléments, les minéraux, les flavonoïdes. L'acidité est ce qui soutient un vin quand sa chair s'effondre...donc le vin est déjà perdu.
Et puis, nous attaquons un Substance. La différence est criante avec le premier vin. Le jus crépite sous la langue. "C'est comme un cachet d'aspirine". Et en bouche, on trouve des amers, de superbes notes de brulé, c'est un vin étrange, personnel, singulier. Je suis sous le charme. Je retrouve moins les notes oxydatives de l'initial.
Les amers viennent des peaux, les amers viennent des notes de brulé, les amers viennent de la verdeur ou sous maturité.
Solera démarrée en 1986, je lui demande ce qu'il reste de ce millésime dans ce vin. Chaque nouveau millésime ne vient prendre que 4 à 5% de la Solera.
Puis un deuxième substance. Identique au premier, seul le dosage a été modifié. Là, je suis un peu déçu, le vin est plus classique, plus rangé, le sucre se ressent, j'ai perdu mes notes de brulé si singulières et déstabilisantes.
Il nous explique qu'il vient de nouveau de recevoir un blâme du comité champenois XXX. Ses vins son bcp trop originaux, et nuisent visiblement à la réputation de la Champagne.... Il nous montre alors les jambons suspendus au plafond du chais, et nous dit :
"s'ils viennent me voir (malgré ses invitations répétées, ces messiers du comité XXX n'ont, à date, pas jugé utile de venir au Domaine malgré ses invitations répétées...), je leur montrerai au microscope ces jambons, ils y verront la vie, et comprendront peut être mieux mes vins"
Il aime les sciences. Tout n'est que démarche scientifique dans son approche. Il part d'hypothèses, il teste, il expérimente, il vérifie, et se remet sans cesse en question. Mais pas question de s'enfermer dans quelque carcan que ce soit. Voilà pourquoi il fait du bio ou pas, de la biodynamie ou pas, il souffre, ou pas.
Il nous montre deux amphores : l'une en grès, chauffée à 1200 degrés. L'autre en terre cuite, chauffée à 1400 degrés. Il comparera. Il adaptera, il progressera, il apprendra. Et complète donc les jus de ces amphores avec des baies, pour contrebalancer la plus grande porosité des amphores, et limiter ainsi grâce aux peaux de baies le risque accru d'oxydation.
Et puis un troisième substance, le plus dosé. Paradoxalement, le sucre ressort moins que le précédent. Le vin est intéressant. Mais c'est le premier Substance qui recevra ma préférence.
Voilà comment un même jus change du tout ou tout avec un dosage ou un autre. Mais surtout, il n'y a aucune linéarité. On converse alors sur les phénomènes de résonnance en physique, les harmoniques en musique. Et son travail de recherche perpétuel sur ses vins.
Il parle de la sève, à l'origine des mots saveurs, mais aussi du mot savoir. Et cela fonctionne tout aussi bien en Espagnol, en Italien.
Il nous confie alors qu'il passera bientôt la main à son fils. Dans 2 ans, peut être 3. Mais il va poursuivre son œuvre, sur une autre voie : il fera bientôt du savon. Sa dernière lecture : un bouquin de 600 pages sur la saponification des esters...
Une personne entre dans le chais, une connaissance locale dans le monde du vin visiblement. Anselme lui demande ce qu'il a comme densimètre à disposition. Le sien s'arrête à 1090 et ne convient donc pas. Car le taux de sucre est exceptionnel sur ce millésime.
Il est 12h30.
Il nous salut.
Et poursuit son œuvre.
Laurent.