Retour sur le millésime 2020 et une nouvelle parcelle au domaine du Couvent
J1, première dégustation de l'après-midi. Le domaine de Philippe Chéron est un de ceux que nous avons vu le plus évoluer. Entre sa renaissance et son étendue aujourd’hui, le nombre d’années écoulées est somme toute limité. Ce Printemps était l’occasion de faire un point et comme à son habitude, notre hôte allait nous concocter quelques surprises. Une fois la courte team réunie, nous nous enfouissons dans le chai.
NDLR: camarade Paul a voulu faire son malin et s'est égaré dans les dédales des rue nuitonnes à l’occasion de sa promenade digestive . Si la température extérieure frôle le niveau estival, celle de la cave demeure bien printanière, voire hivernale si j'écoute mes petits orteils bleutés.
- Monsieur Chéron bonjour. Merci de prendre le temps en pleine semaine des GJDB.
- De rien, j'avais des RDVs jusqu'à hier mais la partie Nuits se calme un peu.
- Attaquons le vif des sujets, 2021?
- On fait -50% pareil que sur 2020. Les parcelles provenant de Varoilles ont beaucoup souffert, 15-20hl. Certaines parviennent tout de même à approcher 30-32 hl.
- Ah bon? j'avais raté que vous aviez eu autant de perte en 2020. Sécheresse?
- Oui il a manqué d'eau.
- Sur 2022, il semble également faire sec pour le moment. Et il fait plutôt assez chaud. On ne risque pas de retomber dans la précocité de 2021?
- On ne serait pas contre un peu d'eau. Le cycle n'est pas aussi avancé qu'en 2021 à la même période. Il faut en général 60°C de moyenne cumulatif pour que ça débourre.
- Vous vous êtes mis à une taille plus tardive?
- Oui, tout le monde s'y est mis. En ce moment on est sur les remplaçants, on attache les baguettes et on fait une partie de la mise. Il faut rationaliser toutes ces tâches avec le décalage de la taille. Et comme cela ne suffit pas, je regarde à aménager / agrandir la cuverie ici à Nuits. Il y a dans le fond des contenants surdimensionnés qui ne conviennent pas et prennent inutilement de la place. Il faut remplir une cuve pour pouvoir travailler correctement. Avec les dernières récoltes, je ne remplis pas grand chose. Je voudrais mettre des cuves en inox et à volume variable.
- Vos 2020 sont encore en fûts?
- Oui d'ailleurs, on va les goûter. La mise se fera probablement 2ème quinzaine d'Avril. Je ferai un premier soutirage la semaine prochaine.
Gevrey Chambertin, les Seuvrées
C'est noir d'emblée. Le vin n'est pas pour autant dénué de fraîcheur. La texture est plutôt confortable. On perçoit un tanin légèrement poudré et les notes végétales de rafles. Un vin assez expressif à l'heure où les cellules digestives sont en pleine action.
B
- Dans le contexte actuel, vous n'avez pas des problèmes d'approvisionnement? Cet hiver, une marque de Champagne a eu du mal à se fournir en bouteilles.
- Sur les formats standard, pas de souci. Sur les formes spécifiques, c'est difficile. On a surtout l'usine d'un fabricant de capsules/Mariannes qui a brûlé. On doit attendre. Ça prend 5-6 mois de plus. De la tension, il y en a des deux côtés.
Gevrey Chambertin, le Clos du Couvent
"40 ares situés dans la cour d'un ancien couvent. C'est une vigne précoce et c'est elle qui a le plus souffert en 2021."
Une approche plus douceureuse. Beaucoup de maturité et de noirceur ici aussi. Il manque comparativement peut-être un peu de fraîcheur.
B-
- Il n'y a pas de VE?
- Non.
- Avec l'agrandissement récent du domaine, combien de personnes êtes-vous finalement?
- 3 permanents + mon épouse + moi.
- Des enfants qui vont vous rejoindre?
- Le fiston est en alternance chez Charlopin. L'autre fait un master de vin à Angers puis il partira 6 mois en Italie.
- Il profite de voyager.
- Oui, il est déjà parti vinifier en Afrique du Sud et à Cheval Blanc.
Gevrey Chambertin, le Clos du Meix des Ouches, monopole
"Ca fait un peu plus d'un hectare. Nous l'avons en monopole. J'aime bien la travailler car ca fait presque un carré. Pas de VE non plus."
De la mûre, du cassis, de la réglisse, quelques notes torréfiées. La densité et la concentration sont tactilement plus grandes. Et il y surtout cet inattendu filet de jus de groseille qui vient replacer l'ensemble plus en hauteur. Une belle surprise que l'on ne pouvait pas imaginer l'an dernier.
B+/TB-
Nous apercevons des fûts siglés à l'armoirie de Varoilles dans la cave.
- Vous avez récupéré la futaille de Varoilles?
- Oui, le parc est important. Il y a un roulement de 2 ans. Lorsque vous voyez 2016 inscrit sur un fût, il en est à son 3ème vin. Pour le moment je ne le bouge pas. La chauffe est un peu plus marquée. Une chauffe forte marque d'ailleurs surtout la première année. Avec le temps on va revenir à une chauffe plus douce. Ça va prendre minimum 2-3 ans.
- Avez-vous récupéré d'autres choses?
- Un groupe d'embouteillage. Cela nous permet d'étaler la mise. Il faut néanmoins veiller à l'endroit où mettre la machine. Les températures à la mise sont importantes. A 14-15°C, ça va. A 7°C, ça comprime le vin.
- Des choix selon le calendrier lunaire peut-être?
- Si on peut, oui. Après il ne faut pas que ça hypothèque d'autres choix importants.
Un usage limité de la rafle en 2020
- Le millésime est plutôt très mûr, vous qui avez pour habitude de recourir à la VE, j'ai l'impression que vous n'en avez pas beaucoup mis en 2020. Cela aurait pu contribuer à rafraîchir les vins?
- La rafle ne fait jamais beaucoup baisser les degrés. Le problème avec 2020, c'est que les raisins n'ont jamais grossi. Il y avait peu de jus dans les baies. Si on mettait de la rafle, la proportion rafle/jus aurait été trop importante.
Chambolle Musigny, 40 ouvrées
"C'est un assemblage de 11 petites parcelles pour un total de 1,7 ha."
Un toucher confortable, arrondi. Il n'y a pas la puissance de la noirceur mais il n'y a pas autant d'acidité non plus. L'approche tannique est bien plus facile et elle nous rappelle le village de provenance. Seule la toute finale renvoie à des fruits couleur grenat.
B-. Camarades Paul et Christophe en ont eu une meilleure appréciation. J'ai dû rater quelque chose :-/
- Vous pigez vraisemblablement moins en 2020.
- Pas trop d'extraction. Quelques pigeages histoire de. Au Printemps, il y a eu relargage de sucre et refermentation.
- Vous n'aviez pas sulfité?
- Non pas de SO2 avant la mise.
- Même pas à la réception des vendanges?
- Un peu oui mais de moins en moins. Comme on fait une macération préfermentaire à froid et que je suis encore avec les coupeurs au moment où la vendange arrive, ça permet d'être un peu plus serein. Le zéro à la réception viendra. Normalement jusqu'au soutirage pas besoin de soufre.
- A quel niveau aboutissez-vous ?
- J'ai toujours une cible de 15-20 de libre et 40 environ en total.
Chambolle Musigny, Clos de l'Orme
Je goûte un peu de banane :-/? De la vivacité, des arômes de fruits noircis par le soleil, de la date, de la cerise noire. Les saveurs s'écartent de l'ossature vers la fin. Pas très fan ainsi. Un vin qui demande encore à s'uniformiser et se mettre en place.
- Quelles sont les acidités en 2020?
- En terme de PH, nous sommes entre 3,45 et 3,60. C'est relativement faible. Le plus gros niveau se retrouve sur Vosne et Chambolle. Les Seuvrées, c'est bas, Champonnet également. Les Murgers sont les plus bas.
- Vous n'avez pas été tenté d'acidifier?
- Il n'y avait pas beaucoup de malique dans le total. Beaucoup de tartrique naturel. Il faut des quantités monstrueuses avant que cela ait un impact chimique. L'effet sécheresse en bouche serait atteint bien avant.
Vosne Romanée, les Barreaux
- On fait 8 fûts sur 2020, ça fait du 28 hl environ. C'est une mauvaise année.
- Ah?
- En moyenne je fais 11 à 12 fûts. Sur 2017 et 2018, on atteint 14-15 fûts.
- Vos vignes y sont d'un seul tenant?
- Non, on a une parcelle sur le coteau, sur la roche, près de Parentoux. C'est celle qui souffre le plus. L'autre moins, on y trouve plus d'eau.
De la réduction au nez et en bouche de prime abord. C'est droit, d'une grande précision, le vin le plus net/concis jusqu'à présent. Le premier 2020 où le panier de fruits oscille entre le rouge vif et le rouge foncé. De l'élevage, mais rien de dérangeant à ce stade. Il n'y a pas à dire, c'est une régulière réussite.
TB
Deux Gevrey Chambertins, 1er cru Champonnet, deux styles différents
Gevrey Chambertin, 1er cru Champonnet, parcelle historiquement Chéron
L'entame est franche sans défaut notable. On ne tarde pas à goûter l'élevage et des épices mais c'est surtout la solide et importante matière qui est remarquable. Une presque mâche faite de tanins noirs plus présents mais non asséchants.
B-/B en l'état et un potentiel à réaliser.
Gevrey Chambertin, 1er cru Champonnet, parcelle historiquement Varoilles
Comparativement plus accessible sur l'attaque. Une fraîcheur que son frère ne possède pas. Moins d'épices et moins de noirceur.
B+
- Ce dernier est plus aimable à l'instant. Ils sont assez différents. Le premier possède une ossature supérieure lorsque le second est moins noir. Vous allez assembler? Avoir le début de l'un et le corps de l'autre.
- Oui, oui.
- Ce sera en proportion égale?
- On a 4 pièces de chaque.
- Une même appellation mais 2 vins assez différents. Quelle est la distance entre les deux? C'est surprenant.
- L'une commence à plat et remonter vers Fonteny. L'autre est plus basse et fait face au Meix des Ouches. Il n'y a pas de franche différence, pas plus de 100m de distance entre les 2. Une est légèrement plus à l'Ouest s'il faut trouver quelque chose. La parcelle des Varoilles est plus facile à faire. D'ailleurs sur 2021, je suis moins satisfait de ma parcelle que celle provenant des Varoilles. Je n'ai pas pigé la première pour ne pas ajouter de structure et rendre le tout carré. Il n'y a eu qu'un travail thermique.
- Qu'est-ce qui peut jouer à votre avis?
- La moyenne d'âge des vignes reprises est un peu supérieure à celles que je possédais déjà. Il y a moins de pièges.
Gevrey Chambertin, 1er cru La Romanée, monopole
- Nous sommes vraiment en haut de coteau. La pente est dépassée. Il y a tous les cailloux qui n'ont pas dévalé sur 3-4 cm jusqu'à 10-15 cm.
Le nez est plutôt floral.
- De la VE?
- 100% égrappé. Ça mériterait. Une grosse année, oui mais ça n'arrivera pas sur la Romanée
. Il y a un ha mais ce n'est pas le plus productif.
Un accroche calcaire pour fournir un point d'ancrage en attaque. L'épaisseur relève bien d'un cru. De la fraise mûre, du cassis, de la groseille et surtout du menthol, de l'eucalyptus et de la réglisse.
TB-
- D'où provient cette fraîcheur?
- La parcelle est entourée de forêt. Elle se trouve à 350m d'altitude. Et les plants datent de 1965-66.
De nouvelles parcelles en perspective
Nuits Saint Georges, 1er cru aux Murgers
Les effluves sont avenants, entre ronce et pot-pourri de pétales séchées.
- Le nez est chouette.
- Je fais seulement 2 pièces.
- Moins chouette. De la vendange entière ici?
- Oui 50%.
La verdeur se goûte mais une belle acidité part d'une autre zone géographique pour mieux rejoindre la rafle, comme une harmonie qui se forme progressivement. Un mouvement inhabituel et fort appréciable.
TB-
Clos Vougeot, grand cru
Plutôt réduit, avec la vanille de l'élevage en +. C'est frais, un peu de perlant. Des billes de fruits rouge se projettent vite sur le bout de la langue alors que les tanins viennent en périphérie de bouche. Quelques notes lactées lorsque le vin n'est plus dans le gosier. La 2ème gorgée est plus vive, les fruits plus éclatants. Mais dîtes-donc y'a un truc qui a changé...
- Clos Vougeot a énormément changé par rapport à nos premières fois. C'était absolument carré, accrocheur et un peu rêche au début. Là, pas du tout.
- C'est un vin que je comprends plus chaque année. Depuis 2019 j'assemble à la sortie de décuvaison la partie haute et la partie basse. Tout est égrappé. Il y a beaucoup de structures déjà ainsi.
- Vous continuez à en vendre?
- Oui, vu les prix aujourd'hui, ce serait idiot de ne pas le faire. Et puis cela en ferait trop à gérer pour moi.
B+/TB- pour les progrès accomplis.
Charmes Chambertin, grand cru
- Les rangs sont dans le haut de Mazoyères. Ils produisent peu.
- Vous avez du 161-49?
- Non, pas beaucoup. Ce sont les vignes qui sont vieilles. Elles vont moins vite.
L'acidité en pourtour octroie une bonne délimitation. Le centre du vin n'est pas aussi précis. L'ensemble demeure abordable. J'ai perdu ma note
.
- Cela vous fait un sacré agrandissement au final. Nous avons dégusté beaucoup de vins.
- Ah, mais ce n'est pas fini
- Comment ça?
- Je vais récupérer des vignes sur Marsannay.
- Lesquelles?
- Clos du Roy en rouge et Longeroies en blanc. Et ce n'est pas tout, j'ai une petite surprise à vous faire goûter. J'ai un Chambolle 1er cru Feusselottes à partir de 2021.
- Vous n'arrêtez pas. On ne va pas refuser
.
Chambolle Musigny, 1er cru Les Feusselottes 2021
Une robe claire, très claire. Du bonbon de rose au nez. De la fleur de sureau comme une évidence. Une belle tension en bouche. Dommage que cela s'arrête un peu plus vite que ce que l'on aurait espéré.
TB-/B+
Philippe Chéron nous amène alors devant une table sur laquelle reposent une dizaine de bouteilles ouvertes:
- Qu'est-ce que vous voulez goûter? Les bouteilles ont été ouvertes pour les grands jours.
- Vous avez pu trouver de nouveaux exportateurs à cette occasion?
- Il y a des choses qui se sont faites. Il faut trouver le partenaire d'une bonne taille, par lot de 2 à 3000 bouteilles. On fait la Chine, le Danemark, le Japon, les Etats-Unis et l'Angleterre.
J'ai passé mon tour sur les bouteilles, histoire de préserver les papilles pour la dégustation suivante.
Nous avons dépassé les 2 heures en la bonne compagnie de Philippe Chéron. Et il y a, comme à chaque fois, une nouvelle raison qui pré-écrit la prochaine visite. Sa gamme s'est étoffée de façon qualitative et cela ne semble pas près de s'arrêter. Il nous faudra prévoir 3h pour l'itération suivante
. Un an après, mes comparses et moi nous sommes unanimement accordés pour dire que la Romanée a été une excellente surprise. Et une conversation avec notre Huggy les bons tuyaux le soir va le confirmer: "Philippe Chéron? Ah, vous avez aimé la Romanée et Clos du Meix des Ouches? C'est bon hein?
Il commence à marcher en Asie." Diantre, nous ne sommes plus les seuls à le savoir
.