LPV75: Première visite au domaine Henri Richard pour le millésime 2014
C’est la dégustation d’un Tuileries 2013 qui nous a amené à ce domaine. L’élégance florale gustative conséquente à la présence de vendange entière m’a poussé vers un style que je ne connaissais ou appréciais pas suffisamment jusqu’à présent.
Premier domaine surprise du séjour pour mes camarades. Et il n’y avait pas meilleure météo pour nous accompagner au 75 Route de Beaune à Gevrey-Chambertin.
Nous nous présentons au caveau de dégustation et c’est Guillaume Berthier, chef de cave et de culture, qui nous reçoit:
- (…) Sarah m’a demandé de vous recevoir car elle m’a dit que vous auriez des questions auxquelles je peux répondre
- Non rien trop technique habituellement, nous sommes loin d’être des experts
. Le temps est magnifique en ce moment.
- Justement, les vignes vont très, trop vites en ce moment. Il faut que j’y retourne après cette dégustation.
- Ah, nous tâcherons de ne pas vous prendre trop de temps dans ce cas.
Un domaine à taille humaine
- Pouvez-vous nous parler du domaine?
- Le domaine fait 4,5ha. Sarah est la 4ème génération d’une histoire qui a commencé dans les années 30. Nous faisons du Côteau Bourguignon, de l’Aligoté, du Marsannay, deux Gevrey et deux Grand Cru.
- Comment se répartissent les surfaces?
- Nous avons 2 ha de Gevrey, dont 2/3 de Corvées et 1 ha de grand cru, avec 2/3 de Charmes.
- Combien êtes-vous à travailler sur le domaine?
- Nous sommes 2.
- Effectivement, je comprends mieux votre emploi du temps serré en ce moment.
- Il n’y a pas beaucoup de vignerons qui se rappellent un démarrage aussi rapide des vignes. Les pieds ont beaucoup de réserves d’eau avec les quantités tombées en début d’année. J’ai fini le pliage la semaine dernière et nous devons nous occuper de l’ébourgeonnage la semaine prochaine.
- Quelles ont été les évolutions?
- Il y a avait beaucoup de vrac. La proportion s’est réduite. Nous faisons désormais 90% de bouteille.
- Dans quelle proportion vendez-vous à l’étranger?
- 50% à l’export, 50% en France. On s’interroge d’ailleurs sur les éventuelles conséquences du Brexit. Nous verrons.
Nous n’en avons pas tant l’habitude finalement, nous dégustons le millésime en cours de commercialisation: 2014.
Gevrey Chambertin Aux Corvées
Un vin assez tendu et acidulé. De la violette, de la ronce, une rafle perceptible. Les tanins ne sont pas encore arrondis. A attendre sagement à mon avis.
AB+/B-
De la vendange entière par principe et par goût
- Je crois que vous utilisez une proportion de rafle assez importante.
- 50% sur le Gevrey. Elle peut atteindre 70 à 80% sur le reste. La vendange entière fait que l’ensemble chauffe moins vite. C’est parfois long et il y a un risque d’acétate dans le jus. La partie éraflée peut nous servir de jus d’inertage. Cette partie commençant la fermentation la première, elle libère du gaz carbonique qui inerte le reste de la vendange, et diminue ainsi les risques d’acétate. Tous nos jus (les jus de la partie égrappée, tout comme ceux de la partie en vendange entière) sont dans la même cuve, et se mélangent au gré des remontages et des pigeages... Ca va plus vite avec les bonnes levures indigènes. Nous ne faisons rien d’autre. La seule chose qui change, c’est la taille des cuves. Aucun ajout sauf du soufre pour la protection des vins.
- A quels moments en mettez-vous?
- Un peu à l’encuvage puis au soutirage avant la mise.
- Avez-vous été tenté d’égrapper entièrement?
- Lorsque la rafle est mûre, il n’y a pas de raison de ne pas en mettre.
Gevrey Chambertin Les Tuileries
- Nous avons découvert le domaine avec un Tuileries bu l’an passé.
- Il s’agit en fait d’une seule parcelle en haut des Corvées à l’intérieur de celles-ci. Le vin qui en résulte est totalement différent du reste d’où notre décision de le séparer. Le nom provient de la maison. Avant d’être à vocation viticole, elle était une usine de fabrique de tuiles. La part de vendanges entières est plus grande. Le matériel végétal est différent. C’est comme si nous avions du millerandage tous les ans. Ca ne pousse pas bien dans cette partie. Les rendements varient entre 8 et 28 hl lorsque le reste des Corvées peut atteindre 40 hl.
Une trame fine, des tanins rendus droits par la rafle. Une austérité raffinée. Un registre floral et un peu strict qui n’est habituellement pas mon goût mais c’est ici fort bien réussi. Des microbilles fruitées et acidulées rendent la finale gourmande et l’ensemble digeste.
TB-
Et camarade Antoine de me lancer « On l’a déjà bu ce vin. Je le reconnais. »
La vinification et l’élevage
- Comment démarrez-vous vos fermentations? Un éventuel recours au froid ou cuve thermorégulée?
- Nous vendangeons le matin si les températures annoncées sont trop élevées l’après-midi. Nous ne cherchons pas à contrôler les températures avec une chambre froide ou une cuve thermorégulée. Certains confrères utilisent les chambres froides pour être tranquilles. Ils récoltent, mettent tout au frais et ils ont ainsi le temps de terminer les vendanges. Après, ça a un coût entre l’énergie dépensée et les bâtiments. Nous surveillons nos degrés seulement pour éviter un risque de déviation. En 2013, la fermentation a mis plus plus de 10 jours pour démarrer, nous avons donc dû finir par chauffer les premières cuves rentrées pour avoir une bonne ambiance de cave. En 2015, les raisins sont rentrés “chauds”, à 16°-18°C, et la fermentation a ainsi démarré en 2 jours. Ça participe au millésime.
- Quelle futaille utilisez-vous?
- 0% de neuf sauf pour les Corvées, 15%. Nous recourons à des fûts d’un vin. Nous les rachetons auprès de confrères qui ne font parfois que du neuf.
- Avec quelle chauffe?
- Peu marquée. Nous faisons quelques essais avec Rousseau mais nous travaillons surtout avec François Frères. L’avantage c’est qu’ils sont gros. Cela permet de trouver plus facilement des fûts d’un vin. Nous avons quelques Minier également. C’est un tout petit producteur, 400 tonneaux par an. Jean-Noël s’est lancé en 2010 après avoir travaillé chez Chabert-Duval.
Charmes Chambertin Grand Cru
C’est gourmand, salivant, long, juste épicé, un trait élancé au delà de la pointe de la langue. La vendange entière apparaît à la conclusion.
TB+
Les contrastées années 2016 et 2017
- 2016 fut terrible pour beaucoup de village, à Chambolle en particulier. Quel a été l’impact pour vous?
- Difficile sur Gevrey. Nous perdons jusqu’à 75%. Nous avons une parcelle en coteau, sur Couchey, en sortie de Combe (Pévenelle), et nous y avons tout perdu. Généralement, les coteaux ont été épargnés en 2016 (à part les sorties de Combe et Marsannay en général), et ce sont les bas qui ont souffert. Nous avons tout perdu dans les bas de Morey par exemple.
- Les grands crus ont été plus épargnés en général?
- Nous gardons un rendement de 33 hl.
- Le millésime 2017 s’est-il mieux présenté en terme de rendement?
- Nous atteignons 40 hl.
- 2015 était aussi une année correcte?
- En 2015, nous faisons une moitié de récolte. Les raisins n’ont pas gonflé.
- A quelle date avez-vous vendangé 2017?
- Mi-Septembre.
Mazoyères Chambertin Grand Cru
Plus sévère au nez et en bouche. La vendange entière se perçoit dès le début. Il y a une virgule saline, iodée qui donne de la fraîcheur. La conjugaison à des fruits rouges froids donne de façon surprenante un goût de reviens-y. La conclusion perdure plus longuement dans une structure mieux composée.
TB
- C’est totalement différent du Charmes.
- L’exposition est pourtant identique. Il existe néanmoins une légère contre-pente. Elle est peut-être la raison du stress hydrique plus important. La différence est là.
Alors qu’ils pourraient revendiquer la même appellation, les 2 grands crus sont d’un style totalement différent l’un de l’autre. Camarade Nol a sa préférence pour le premier lorsque camarade Antoine apprécie le second pour sa finale. Et ce dernier d’ajouter « J’ai craqué
» au moment d’acquérir quelques bouteilles.
Les vignes héritées
- Quel était le capital « vignes » au moment de reprendre le domaine?
- Nous avons la chance d’avoir une grande variété de pinots: le pinot tête de nègre ou le pinot beurrot par exemple, même si ce dernier reste anecdotique (0.13ha) . Sa maturité est plus précoce. Nous en faisons une sélection massale pour tâcher de les conserver. En terme de parcelles, nous avons hérité de rangs pas toujours uniformes. Il y a des lignes où l’espacement entre deux pieds n’est pas identique entre le début et la fin. Cela implique qu’il faut descendre et changer les réglages des machines en cours de rang.
- Nous croyons savoir que vous êtes en bio.
- Oui, certifiés depuis 2005 à l’exception des Côteaux récupérés en 2011 et le Côte de Nuits Village en 2014.
- De la Biodynamie?
- Nous pratiquons depuis 2014, nous avons commencé la certification cette année.
Est-ce l’évolution de mes goûts ou la réussite d’un domaine dans l’intégration de la rafle qui rend ces vins plaisant? Un peu du premier et beaucoup du second à n’en pas douter. Les convictions qui règnent au domaine, tant dans la conduite des cultures que dans les choix de vinification, le mettent sur une trajectoire ascendante. Nous remercions Sarah Bastien pour avoir accepté notre venue et Guillaume Berthier pour s’être rendu disponible lorsque la pousse végétative requérait sa présence dans les vignes. Flûte un domaine de plus à suivre