LPV75: le millésime 2015 au domaine Robert Groffier & Fils
Nous n’avons eu confirmation du rendez-vous que 10 jours avant la date. Branle-bas de combat, il faut réorganiser notre programme car le domaine figure bien entendu dans la liste de ceux pour lesquels on ne se fait pas prier lorsque l’on a l’immense opportunité de s’y rendre.
Nous sommes fin Mars. Le temps est splendide. Nicolas Groffier nous accueille et nous invite dans son antre.
- Nous allons déguster 2015. La mise a commencé fin Décembre.
- Je vois que vous recourez au Coravin.
- Ah le Coravin c’est bien pour les dégustations. Cela permet de conserver les bouteilles assez longtemps. Le seul petit reproche que je peux faire c’est le débit. C’est un peu long à verser
. Sinon, ça aide à faire des mini verticales.
Faire le millésime 2015
- Monsieur Reynaud nous disait qu’il n’était pas besoin d’être vigneron pour faire du vin en 2015.
- Il a fallu faire des choix, nous répond Nicolas avec un certain rebours. Il n’y a pas eu beaucoup de pluie. La sécheresse est une intempérie en tant que telle. Il faisait chaud, 30°C dès 9h00 du matin. Ca manquait d’eau. La floraison s’est faite en 24h. Les grains étaient fragiles au début.
- Faire des choix est-ce conserver les spécificités d’un millésime?
- Sur les rendements, nous n’avions pas de choix. Nous ne faisons que du 20-25 hl. C’était dur à la presse. Sur les maturités, on peut décider laquelle on privilégie.
- Justement, n’avez-vous pas eu peur d’avoir des fruits trop mûrs?
- Non, ce n’était pas plus mûr. C’est plus concentré. Les cycles de maturité n’ont pas été tous aboutis. Il y a plein de composants: la peau, le jus, etc. Des composants étaient mûrs, d’autres non.
- Pas d’apparenté avec le millésime 2003 alors...
- Si je dois le rapprocher d’autres années, nous avons une base similaire à 2005. La première bouche est accueillante. Mais les petits rendements le rapproche de 2010. Il est possible qu’il y ait un côté réducteur pendant 5 à 15 ans. 2015 sera toujours 2015. Il faudra peut-être faire attention à la garde. 2005 met du temps à se révéler. Nous vendangeons 15 le 15 Septembre. 16 fin Septembre. Cela manquait de maturité. Nous aurions pu attendre 10 jours.
Bourgogne Passetoutgrain
Plein, des tannins, de la gourmandise.
B-
« Il commence à digérer sa mise. C’est 2 fois plus concentré: ça peut donc être deux fois meilleur ou deux fois moins bon. »
Gevrey Chambertin les Seuvrées
- J’ai mis plus de rafle que d’habitude. 70%. Le millésime le permet.
- Egalement sur les autres appellations?
- Oui, 100% sur Sentiers, Bonnes Mares, Clos de Bèze. 50% sur le reste.
Un nez déjà complexe, des épices, du clous de girofle, de la mûre, du cassis, de la fraise. La finale acidulée évite à l’ensemble de tomber dans la lourdeur.
B+
Une année de canicule?
- Vos vignes ont du souffrir d’un manque d’eau.
- Moi le premier. C’était horrible de travailler sur le tracteur par ces températures. Quant aux vignes, les plus stressées furent finalement celles sur l’argile. C’est comme un chameau. Le jour où il a besoin de boire, il boit beaucoup. Et lorsque l’argile se contracte, elle comprime le radicule.
- Les fruits étaient peut-être un peu trop chauds à la vendange?
- Oui, il était nécessaire de les refroidir. Clim à 7°C, chambre froide.
Chambolle-Musigny 1er cru les Hauts Doix
« 1/3 de fûts neufs. Des vignes sur du sable, exposées au Nord. »
Un vin plus polissé, plus fin. C’est long. On passe un cran qualitatif, notamment dans la densité et le tactile des tanins.
TB+
Un mot sur le millésime 2016
- Morey paraît avoir été relativement épargné par le gel.
- Oui. Nous produisons plus qu’en 2015. C’est même une des plus grosses récoltes. Ce fut une chance. Il ne faut pas labourer trop tôt car cela ramène de l’humidité. Il faut savoir parfois ne pas toucher, dans l’éventualité d’un coup de froid notamment.
- Vous évoquiez la maturité de 2016. Le millésime se présente plus fin.
- C’est le cas mais il prend de l’épaisseur à chaque mois d’élevage qui passe.
Chambolle Musigny 1er cru les Sentiers
« La parcelle se situe en dessous des Bonnes Mares. Les vignes ont 80 ans de moyenne. Orientées au Sud. »
Une belle portance. Des tanins plus ronds à l’attaque. C’est soyeux. Une finale est un peu plus asséchante.
TB+
Entre rythme soutenu et patience
- Nous sommes dans la région depuis hier. La végétation est en avance…
- Oui. 2017 est super en avance. Cela nous laisse peu de répit. Nous venons à peine de terminer les expéditions. La vigne revient vite. Nous réattaquons dès le 1er Janvier. Il y a à peu près 15 jours « plus calme » avant les vendanges. Le reste de l’année, c’est intense. Il y a toujours quelque chose à faire, les remplaçants par exemple.
- Faîtes-vous de la sélection massale?
- L’important est de trouver un bon greffeur. On en a trouvé un bon. Le rythme des remplaçants a été important pendant 10 ans jusqu’à l’année dernière. On repart pour un 700/800 trous par an. Nous atteignons 10 000 auparavant. Les vignes peuvent vieillir vite.
- Avez-vous été tenté de prendre quelqu’un en plus?
- Non pas maintenant. Et puis il faudrait trouver la bonne personne.
Bonnes Mares grand cru
« Il est vinifié de la même manière que les Sentiers. Le PH est quasi identique, à 0,01 près. Il est gourmand en SO2 alors que je pensais qu’il n’en avait que besoin de peu. Les bactéries lactiques ne sont pas les meilleures. Le vin est demandeur de protection car il y a du monde à dégommer. Quant à l’élevage, il faut également y être attentif. Ce vin durcit avec le bois. »
La rafle est finement intégrée. C’est long, très long. Le nez odore délicieusement.
Excellent-
- Nous étions au domaine Mugnier et nous évoquions le décalage dans la commercialisation du Musigny.
- J’ai l’idée depuis quelques temps de conserver la moitié des récoltes. Nous allons construire une cave en ce sens. Les vins seront encore présents dans 10 ans. Nous n’avons pas d’impératif pour les sortir vite. Et dans une décennie, ils vaudront leur prix. Par exemple, si nous vendons un Bonnes Mares 200, le boire maintenant, c’est boire 50€.
Le dilemme de l’enherbement
- Pour revenir à 2016, beaucoup ont évoqué le rôle de l’herbe dans la rétention de l’humidité et la favorisation du gel.
- Ah l’enherbement! C’est bien et pas bien. Ca évite en effet la sécheresse des sols mais ça bouffe aussi l’eau en premier. Mais ça aussi l’avantage de crever en premier.
On subit davantage sans herbe. On préfère donc en laisser. Ca pompe, du coup ça permet plus d’extraits secs dans les raisins. Il faut néanmoins une vigne un peu généreuse. En vinif, on dit que l’enherbement vaut 2 pigeages. Après il faut le gérer correctement. Et si on veut l’enlever il n’y a pas 10 solutions.
Chambolle Musigny 1er cru les Amoureuses
Subtil, une grande expression de la gariguette par son côté juteux, son acidité et son parfum. De la groseille, de la myrtille et la mûre. Une présence et une finesse affirmées. Le vin s’allonge vers le haut du palais en finale.
Excellent+
Les changements dans la continuité
Chambertin Clos de Bèze grand cru
- Nous avons aperçu votre grand-père. La légende dit qu’il travaille encore Clos de Bèze et que peu sont autorisés à y pénétrer? Est-ce le cas?
- Oui, nous répond Nicolas avec un sourire. C’est une chance de l’avoir. Les vignes lui ont été offertes pour ses 10 ans. Elles se conduisent bien.
Un vin plein et délicat à la fois, majestueux et élégant. A son passage dans le gosier, on perçoit des petites bulles, comme des perles acidulées de fruits noirs. Moins aérien que 2014 mais un
Grand vin à l’aube de sa vie, dans un style différent.
- Et toujours 100% de vendanges entières?
- Oui. C’est de la fainéantise. Je n’ai pas envie de laver les machines
Et puis des raisins de qualités le supportent parfaitement.
- Vous travaillez beaucoup dans les rangs pour y parvenir.
- Oui et tout le long de l’année. Les anciens disent: un raisin au mois de Juin, c’est un raisin en cuve.
- Qu’avez-vous changé?
- Transformer le raisin en vin doit rester simple. Mais il faut être visionnaire: tout remettre en question sans tout changer. Tenez, je vais vous faire goûter autre chose.
Bonnes Mares 2007
Des effluves truffées émanent du vin. Ca champignonne. Il y a également de la rose fanée. La qualité gustative est à la hauteur de l’odeur. Aubépine, rose, groseille, foin coupé et encore de la gourmandise.
Excellent
- J’apprécie toujours le mésestimé 2007.
- Ah oui, c’est un millésime qui se goûte bien depuis 2-3 ans.
- Ca change de 2008 qui est plus rude en rouge.
- 1996 et 2008, les années acides. Une chose les différencie: les rendements. 96 est plus maigre à cause des rendements. En 2008, il n’y a pas de rendement. J’ai un dernier vin pour vous.
Vin mystère
Une robe très claire. Un nez un peu sur la viande séchée. Elle laisse vite place à du tabac, des fleurs séchées. La cinématique est identique en bouche. Elle est complétée par un acidulé en milieu de bouche. Un peu d’alcool. C’est acide, un peu maigre mais Waouh effect inside.
Excellent+ tendance grand
- 1996 donc?
- Oui. Clos de Bèze. Il a été fait avec les techniques de l’époque. Ce n’était pas inné. Je le trouve plus digeste aujourd’hui. Une synthèse entre les années 90 bourrins et les années 2000 où l’on souhaitait faire tout le contraire. Je vous laisse la bouteille si vous voulez. Vous pourrez la terminer tranquillement ce soir.
Quelle dégustation! Nous avions pris une claque il y a 2 ans, nous avons tendu l’autre joue. Un merci à la hauteur de la générosité de Nicolas Groffier. Un grand domaine, bien au dessus de la mêlée. Le niveau moyen est exceptionnel et 2015 ne le contredira pas. Retranscrire ce superbe moment me replonge à nouveau dans le temps à Morey. Je peux vous garantir que mes camarades ont encore des étoiles dans les yeux.
Direction Vosne.