Changement de monde après la visite matinale de Pontet-Canet ! Ici, pas d'allée de graviers, pas de puits ni de citronniers, mais une simple maison sur laquelle une pancarte nous indique que nous sommes à bon port. Alors que nous cherchons à nous garer sous le chaud Soleil de la mi-août, nous nous faisons hêler par Alain Albistur juché sur sa tondeuse. Après avoir fait connaissance, Alain nous emmène dans ce qui ressemble à son jardin : c'est une parcelle de merlots, quelques rangs à peine. Extrêmement jovial et prolyxe, il se met à notre niveau pour nous expliquer la véraison en cours, les différences entre ses trois cépages – il a du cabernet sauvignon en majorité, du merlot et une petite parcelle de petit verdot – exemple à l'appui avec des cabernets de son "prestigieux voisin" - Pichon-Baron si je ne m'abuse.
J’ai l’impression que cette visite est le contrepied parfait du GCC matinal. Je tiens à souligner que je ne rapporte ici que ce que j’ai compris et ressenti, il peut évidemment y avoir des imprécisions ou des erreurs d’interprétation de ma part, je m’en excuse d’avance. Alain est convaincu que l’essentiel de la qualité se joue à la vigne, bien sûr. Mais pour lui, cela se traduit par beaucoup d’intervention du vigneron. Il est extrêmement fier de la propreté de ses rangs, sans un brin d’herbe. Il pratique l’effeuillage, et une vendange en vert limitée pour rester à des rendements proches de la limite légale. Il faut savoir que le domaine fait moins d'un hectare, exploité en parallèle d’une activité salariée par Alain et son fils. Ce n’est donc pas du luxe de pouvoir sortir ses 6000 bouteilles, quand la qualité le permet bien sûr. Alain se montre assez dubitatif sur le bio, qui n’est d’après lui pas tenable pour des domaines sans une certaine puissance financière, même s’il reconnaît que c’est une locomotive pour les progrès en matière de culture. Il n’utilise d’ailleurs plus d’insecticide, mais des boîtes de phéromones pour les éloigner. A côté de ça, il est content de ses traitements, la plupart au bleu et au souffre, et dont le nombre a suffisamment baissé selon lui, car il ne peut pas se permettre de sacrifier des portions entières de sa récolte. Concernant 2015, il est confiant, en cette mi-août il trouve ses raisins très beaux et n’a plus que quelques travaux à effectuer avant de laisser la maturité se faire. Et après, comme il dit, « la Nature est une Dame, elle fait ce qu’elle veut ! ».
Sur ces entrefaites, un autre couple arrive, et nous passons au chai. Là encore, quel contraste avec le faste de Pontet-Canet ! Le chai à barrique est une sorte de petit garage, le cuvier attenant n’est pas tellement plus grand. Il y a là trois grandes cuves béton, plus une quatrième séparée, ou les cabernets et les merlots sont vinifiés. Dans un coin, un bébé cuve inox sert pour le petit verdot, qui n’est vinifié séparément que depuis quelques millésimes. Aux dires de notre hôte, ça a d’ailleurs été une petite révolution pour la qualité de son vin. La première fois qu’il a dégusté son petit verdot isolé, ça a été une révélation gustative. Maintenant, cela lui permet en plus de l’attendre pour le récolter à parfaite maturité, car il est un peu plus tardif que les deux autres cépages si j’ai bien compris. Après vinification, égouttage et presse, les différents lots sont dégustés à l’aveugle et notés A, B, A+, etc… pour déterminer ce qui rentrera dans l’assemblage final. Pour Alain, c’est comme de la cuisine : d’abord, si la matière première est bonne, le produit final sera bon sans grand travestissement. Ensuite, il faut doser le sel, le poivre et les épices : un peu de tannin par-ci, un peu de rondeur par-là, puis saupoudrez le tout de petit verdot – ou ne saupoudrez pas, selon le millésime ! Parfois, certains lots sont rejetés impitoyablement : en 2013, seules 4800 bouteilles ont vu le jour, mais ces 4800 bouteilles, il les défend fièrement.
Pour l’élevage, Alain veut investir dans de la barrique neuve, et il avoue bien volontiers que c’est un composant important pour le goût de son vin. Comme le coût est loin d’être négligeable, il teste d’abord quelques fûts sur le 2014, en faisant attention à ne pas changer les jus de tonneau tout au long de l’élevage, afin de comparer les résultats de chaque bois, chaque chauffe. Le millésime 2015 devrait voir arriver un nouveau lot de barriques, marquant un certain aboutissement. Nous goûtons le 2014 à qui il reste encore environ 6 mois avant la mise : le chêne se fait sentir, c’est très épicé et grillé, mais il y a du fruit et de la matière.
Nous passons à la dégustation des millésimes en bouteille. Le
2013 est très fin, fluide, sur le fruit et les fleurs, un peu épicé, il m’évoque presque une syrah rhodanienne, je suis un peu perdu.
Le
2012 fait plus « Bordeaux ». Il y a une parenté évidente avec son cadet, mais il y a un peu plus de matière et d’amertume, un côté plus terreux. Les avis sont partagés, ce que je comprends car le 2013 a vraiment un côté avenant, mais je préfère le 2012 que je trouve un peu plus structuré.
Une rencontre bien sympathique que ce passage au domaine les Sadons, avec un vigneron franc et accueillant, et qui ne se lasse pas d’expliquer son travail à ses visiteurs.
Joseph