Mon cher François (c'est pour ceux qui ne sauraient pas que François Mauss et moi nous nous apprécions depuis bientôt 20 ans...), bravo et merci pour ce fort intéressant texte qui résume les forces et les faiblesses de la dégustation à l'aveugle.
Je me permets d'y mettre mon grain de sel :
1-Comme me le disait un jour Christophe Blanck, il ne faut pas mélanger la « valeur des choses » et le « prix des choses ». Certaines personnes fortunées (depuis peu ou depuis plusieurs générations, mais elles préfèrent alors souvent êtres experts en golf ou en Ferrari plutôt qu'en vin)
peuvent, finalement, éprouver du plaisir à mettre sur leur table une « étiquette » prestigieuse sans vraiment se soucier du contenu…
Du moment que c'est juste « bon », ils ont parfois (ils sont rarement bêtes...) l'humilité d'accepter que, n'étant pas experts en la matière, ils ont du mal à voir la différence entre les vins notés, par exemple au-delà de 15/20 ou de 92/100. Que leur importent donc nos querelles d'experts ? Pour illustrer cela d'une autre manière : qui s'occupe de la qualité d'un tee-shirt « Dolce et Gabana » ? En tout pas ceux qui l’achète et le porte.
Quelques soient donc les qualités intrinsèques des vins de Reignac ou d’un autre, mon voisin sera bien plus honoré si je lui sort à dîner une bouteille de Mouton-Rothschild, peut-être moins bon à l'instant « T » (encore que s'il n'y a rien à comparer, ce soit bien plus difficile...) mais bien plus prestigieux. Et, je n'ai pas de honte à l'avouer, si j'arrive enfin à passer chez toi déjeuner un jour, j'aimerais autant un petit millésime de Haut-Brion des années 60 qu’un simple Bordeaux fut-il « supérieur »
) Et même, si tu avais un Latour, genre 66, année de naissance de ma femme, ce serait encore mieux… Le plaisir du vin, c’est aussi ça. En tout cas pour moi. Et je l’assume.
2-Finalement, quand on y pense, l'important, dans le grand jury européen, c'est de « participer » à la dégustation. Car en vérité, quand on voit que sur les grands millésimes, les 5 premiers ne sont séparés bien souvent que d’un poil de c.., ou bien que les 20 premiers, quand l’écart est grand, ne sont séparés que par quelques points, on est en droit de se poser la question de la finalité d'une telle compétition. Si une quinzaine de dégustateurs extraordinairement qualifiés et expérimentés ne peuvent séparer le premier et le dixième que de quelques dixièmes de points, en les ayant tous devant eux, quel sera mon avis à moi lorsque je dégusterai cette bouteille toute seule ? Le vin sera simplement… très bon, mais ça, je le savais déjà, puisque la présélection avait été remarquablement faite…
Tout cela est donc bien relatif, et finalement, la véritable raison d’être du GIE, c’est de permettre aux amateurs de vins qui ne sont pas milliardaires de se dire : je n’ai pas les moyens de boire le plus prestigieux, mais je m’offre le n° 1 en qualité. C’est super. Je n’ai rien à redire à cela. Je constate, c’est tout.
Le top, finalement, et ça, le GIE nous l’apprend aussi, c’est quand le plus prestigieux est aussi le meilleur… Et que j’ai les moyens de le boire. Avec des amis qui sont AUSSI des amateurs de vin. Avec de l’argent gagné par mon travail. Et que j’ai du faire un choix au moment de l’achat, entre une caisse de vin, changer de voiture, partir en vacance ou acheter un plasma. Et que j’ai choisi le vin. Alors, c’est le top. C’est ce que j’ai fait l’autre jour avec une bouteille de Pingus 1999. Le bonheur. Et, pour toujours, ce moment est gravé dans ma mémoire.
3-Nous en avons déjà parlé, se pose toujours pour le GIE la difficulté du fameux instant « T », qui, bien sûr, devrait intégrer l’origine des bouteilles. Faut-il les acheter dans une boutique ? Faut-il les acheter dans le pays d’origine ? Faut-il les acheter au château ? La question, pour des propriétés qui font parfois plus de 250 000 bouteilles et n’ont pas, à ma connaissance, de cuves de 1 500 hl, on est en droit de se la poser. Tu connais mon avis : dégustation à Las Vegas : achat des bouteilles à Las Vegas, chez un bon caviste. Ainsi de suite. Mais bon, je sais, c’est impossible. Qui sait, un jour rencontreras-tu enfin le mécène que tu mérites qui, ayant amassé une cave prodigieuse, te permettra d’y puiser à ton gré. Une autre solution serait que tu gagnes à l’Euro-Million, ce qui te permettrait enfin de vivre la vie de seigneur Toscan de la Renaissance, vie que tu es fait pour avoir et que seul le destin t’a refusé (pour l’instant)
) Connaissant ta générosité, je sais que le monde du vin y gagnerait beaucoup.
4-Enfin, n’ayant rien à redire sur la somme des températures, les millésimes chauds ou l’envie de vins issus de raisins mûrs (ce que j’aime et ce que j’essais de produire, tout le monde le sais), je m’interroge malgré tout sur la main parfois un peu lourde que certains ont sur leurs concentrateurs et autre osmoseurs. Je sais, cela vaut bien la saignée, que tout le monde, d’après Michel Bettane, pratique sans le dire. Mais à un moment, il faudra bien s’arrêter et tenter de revenir à des rendements naturels raisonnables issus de vignes faiblement nourries, au pH plus bas et à l’équilibre plus naturel. C’est en train d’arriver. En dégustation, ça en choque encore certains alors que pourtant, quand on y a goûté, c’est évident. Espérons que le GJE, à qui je souhaites longue vie, soit le fer de lance de cette nouvelle révolution qui, timidement, s’amorce à Bordeaux et ailleurs.
Amitiés, hervé bizeul
PS : merci de réveiller un peu le forum…