Merci pour ce lien. Je vais essayer de lire ce bouquin, cela doit être diablement intéressant. Cependant, cela ne signifie pas que les grands terroirs ne sont pas spéciaux et rares. Que l'histoire et les intérêts économiques aient permis le développement de certaines régions (plus que d'autres), c'est certain et ne va pas contre le fait que certains lieux sont plus doués que d'autres pour faire du vin et lui donner un certain caractère... qui pouvait correspondre à une demande, à un goût du consommateur à un certain moment. J'aime bien la notion du don; c'était une notion qui était arrivée lors du débat sur les terroirs: un bon terroir, c'est un endroit doué pour faire du bon vin... Si ces régions se sont développées et ont perduré au delà de la mode ou la demande ou la force d'investissement financier qui ont concouru à leur donner naissance, c'est qu'elles ont presque tout le temps (en tous cas, souvent) été capables de produire du 'bon', ce qui a fait qu'elle ont pu continuer à vendre, donc à perdurer, et à attirer les investissements et les infrastructures (et les professionnels) pour faire du vin... L'oeuf, la poule...
Après, le lieu vraiment très doué, capable de donner de la grandeur à un vin, c'est autre chose.
Mais sur la notion de terroir, on peut aussi voir d'une manière inverse. Je connais des endroits dans le bordelais qui font du très bon vin... malgré une viticulture qui n'a rien d'excellente...tout juste d'un niveau moyen. Il faut vraiment un endroit doué pour faire du très bon dans ces conditions. Dans un endroit moins favorable, ces viticulteurs/producteurs feraient juste de la qualité moyenne... ou devraient augmenter le niveau de leur viticulture.
Pour revenir au sujet, c'est quoi un grand vin pour moi ? C'est plus qu'un vin excellent qui va me donner du plaisir. C'est plus qu'un vin vraiment excellent qui va même me faire sortir un 'wow'. Il n'y en a pas tant que ça des vraiment excellents mais ce n'est quand même pas rare, pas exceptionnel. Un grand vin, je pourrais appeler cela plutôt un vin exceptionnel car ce que mon ami Jean-Michel appelle un Grand Vin ici (je sais que ce sujet te tient à cœur !), ce n'est pas seulement un vin 'très' équilibré et excellent, c'est plus que ça. Et je crois avoir ressenti parfois ce moment d'exception avec un vin.
C'est intéressant car ce qui est écrit plus haut, l'émotion, les impressions du moment dont on se souviendra, l'évidence, l'équilibre, l'analyse par un amateur, la perception peut-être différente entre un dégustateur et un producteur, la notion de bouche pour un grand vin (je suis bien plus tactile qu'olfactif)... me parlent bien.
Dans la vie, j'ai quelques passions. Toutes ont en commun d'avoir un langage, des règles, une connaissance, une technique ou une 'science' associées pour exprimer, comparer, expérimenter, comprendre et améliorer. Et elles me passionnent toutes car elles me permettent de 'ressentir', d'avoir des sensations. Il s'agit de la musique, du sport (en particulier le sport automobile) et du vin. On peut y ajouter mon métier, dans les bonnes périodes et quand je suis en forme. Dans tous ces moments de ma vie, il y a un aspect analytique, avec des connaissances établies (donc une histoire, des anciens...), d'autres encore à apprendre ou 'inventer', et presque parfois une méthodologie. Et cela me plait mais n'est pas suffisant. Si je suis passionné, c'est qu'au delà de cet aspect technique, elles me procurent des sensations fortes, des émotions qui se nourrissent de ces techniques et connaissances (au fond un simple support) et qu'on peut partager et communiquer.
Un Grand Vin pour moi, c'est celui où s'efface la technique, l'analyse de l'amateur pour ne plus vivre qu'un moment d'une intense émotion singulière. Et c'est vraiment rare, c'est pour cela que je parle de vin d'exception, puisque j'ai essayé de faire le compte pour ce post et que je mettrai seulement 6 vins dans cette catégorie dans mes plus de 15 ans de passion. Chaque fois, la même sensation : une fois que 'mon analyse' aboutit au fait que c'est vraiment excellent, profond, élégant, complexe, gourmand mais qu'il y'a quelque chose d'autre, que dans ce que je bois, rien ne manque et rien n'est en trop (l'équilibre de Jean-Michel je pense), qu'il y a probablement des choses que je ne peux pas verbaliser ou identifier mais qui me plaisent intensément, une profonde émotion me submerge et je pleure à chaque fois (je suis un grand émotif
). Quelque part, il y a un abandon, c'est comme si je m'ouvrais au vin... Une sorte de communion, d'absolu, une impression "d'être" dans l'instant... que le temps s'arrête un peu.
Vous allez peut être me prendre pour un fou ou pour un mystique, mais de très rares bouteilles sont parvenues à me mettre dans un tel état. Je suis sincère dans ce que je partage avec vous ici; c'est ma passion du vin
C'est cela un Grand vin pour moi. Plus haut a été fait la comparaison avec l'amour. Pas faux ! Ce sentiment de plénitude, de vivre, d'être ce qu'on est dans ce monde... est assez proche de ce qu'on peut ressentir parfois avec un être aimé.
Et cela je le ressens quelques fois dans mes autres passions : la 2ème symphonie de Sibelius conduite par Bernstein (le choc de la première fois dans ma chambre d'étudiant), les variations Goldberg de Bach interprétée par Gould, un gospel chanté par Barbara Hendricks, (je suis alors à moins 5 mètres) en fin de concert, la mort d'Iseult à l'opéra Bastille avec une soprano qui donne toute l'énergie qui lui reste, Prince jouant un solo de funk à la guitare ou chantant purple rain à quelques mètres de moi au stade de France (son regard croise même le mien !), un Man in the mirror écouté au casque près d'une rivière (je pense à mon amour) et où la voix de MJ me fait littéralement tomber en sanglots, une fin de série en kart (en compétition) où je n'ai pratiquement plus de frein mais où je signe chrono sur chrono, une petite route du Vexin abordée à des vitesses inavouables où m'a voiture (de sport) est diabolique d'agilité et de sécurité, la sensation incroyable dans ces deux derniers moments de rouler au ralenti, de tout voir, de tout ressentir, de faire corps avec la machine...
Puisqu'on parle de statistiques sur un autre fil
, voici les miennes en matière de Grands vins. Une cinquantaine de vins sublissimes (des vins 'wow') mais seulement 6 Grands vins d'exception, donc : 4 blancs, 3 liquoreux et un effervescent, et 2 rouges. Surprenant parce que ce sont les rouges que je bois le plus et que je préfère. En matière de reconnaissance par la critique : 3 vins que Parker a noté 100 (ou Bettane 20, vous comprenez l'idée, pour la presse professionnelle des vins 'parfaits'), 2 vins pas loin de 100 (ou 19) et un vin non noté et quasi-inconnu
3 vins entre 10 et 20 ans, un de plus de 70 ans et 2 vins très jeunes (un même encore en fûts !). 3 que j'ai goûtés plusieurs fois, et pour deux la même magie à chaque fois (pour le 3ème vin, la deuxième bouteille ne m'a pas ému comme la première). 3 où l'on peut juger les circonstances particulières (je m'en serais peut être souvenu sans avoir bu ce vin) et 3 tout simplement chez moi (rien de vraiment particulier). Après réflexion, je ne pense pas que le grand moment fasse le grand vin pour moi mais que c'est bel et bien le grand vin qui a fait le grand moment dont je me souviens avec autant d'émotion maintenant.
Une dernière réflexion, je n'ai pas vraiment envie de multiplier nettement le nombre de grands vins que je bois (ou d'avoir trop de moments magiques dans ma vie d'ailleurs). J'aurais trop peur de ne plus être capable de ressentir aussi intensément les choses. Ceci dit, 6 grands vins en plus de 15 ans... seulement... Je ne serai pas contre d'en déguster 2 ou 3 de cette classe vraiment exceptionnelle par an